Les prédécesseurs de l’étude de la communication
Il faut d’abord comprendre que comme pour toute matière sujette à l’étude dans les sciences dites « molles », la communication a d’abord débuté grâce à l’apport de philosophes qui ont étudié le monde et la façon dont celle-ci fonctionne. L’on peut remonter jusqu’à Aristote qui parlait de l'homme comme étant un « animal politique », un être humain qui ne peut vivre qu’à travers ses interactions avec d’autres êtres humains. C’est ainsi que l’on verrait la création différents groupes et de différents systèmes (ex. village, provinces, pays…) qui permettent aux individus d’interagir entre eux dans un système de valeur extrapolé de leurs interactions (Mannon, 2008). Aristote se fait aussi défenseur du principe de causalité comme quoi il n’existe pas d’intermédiaire ou de zone grise entre ce qui est vrai et de qui est faux. Il s’oppose ainsi à Platon qui considérait que l’homme est incomplet et donc que sa perception de la vérité l’est forcément elle aussi. Pic de la Mirandole, à la fois inspiré par Platon et Aristote, prétend quant à lui dans son Discours sur la dignité de l'homme, que l’être humain se démarque des autres êtres vivants de par sa capacité de jugement et d’action. Selon lui, nous sommes en mesure de créer nos propres règles et nous avons la possibilité de choisir le bien comme le mal et de prendre connaissance du tout. Ainsi, il implique le principe de la liberté, du libre arbitre (L'Encyclopédie de L'Agora, 2006). Kant, pour sa part, reprend le principe de liberté de Pic de la Mirandole pour statuer que nous sommes nées avec les moyens d’atteindre la vérité absolue. Il faut préciser que Kant se situe dans la période des lumières où la science était vue comme moyen de libération face à l’obscurantisme passé. La science et la raison étaient prometteuses d’un futur meilleur et d’une plus grande connaissance où la conception d’un tout universel semblait alors accessible dans un futur proche. Un autre prédécesseur de Kant fut David Hume qui avançait l’idée que tout ce que nous percevons est teinté d’un décalage qui remet notre perception que nous considérons objective, en doute. Il distingue ainsi les notions de perception, d’impression et d’idée comme étant trois variables liées qui ensemble, explique ce décalage (note de cours).
Une autre avancée philosophique importante pour les communications fut les travaux de Karl Popper qui introduit la théorie du rationalisme critique. Ce philosophe du XXe siècle cherche à créer une séparation entre ce qui est scientifique et ce qui ne l’est pas, principalement au niveau des théories qu’il considère comme nécessaire de toujours critiquer et de les remettre en question de sorte qu’il est possible de les améliorer ou de les remplacer. Cette pensée implique donc la notion de progrès puisque la finalité est d’améliorer une théorie ou de la remplacer par une autre plus appropriée. Afin de pouvoir atteindre cet objectif de démarcation scientifique et de progrès, Popper propose deux critères de démarcation; celle de la falsifiabilité et celle de la réfutabilité (Boyer, 1994). En agissant ainsi, il considère que chaque individu est en mesure de distinguer le vrai du faux. Il s’agit donc d’une vision positiviste du monde où il est possible de voir le monde physique. En considérant ainsi qu’il est possible de distinguer le vrai du faux et que cette théorie est vraie, toute personne portée à critiquer cette théorie pourrait, selon lui, être accusée de refuser la réalité, d’agir de mauvaise foi ou de se couvrir du voile d’ignorance… Un ancien élève de Karl Popper, Paul Feyerabend, a lui aussi eu un rôle à jouer dans l’émergence de l’étude de la communication. Dans ses débuts, il était un adepte du réalisme de Popper et considérait qu’il existe un monde extérieur à l’homme puisque le monde continu à existait après la mort d’un être humain. Il considère donc la science comme un moyen de décrire autant que possible cette réalité. Cependant, Feyerabend se situe dans une époque troublée qui a vécu la 2e guerre mondiale et qui se retrouve en pleine guerre froide. Ces évènements ont été considérés comme un tournant historique pour la science qui perd de nombreux adeptes après toutes les atrocités qu’elle a permises. Feyerabend se tourne donc vers le relativisme qui stipule qu’il n’existe pas de fait brut, que tout est chargé de théorie, « tout est relatif » (Stanford Encyclopedia of Philosophy, 2009). Il perd donc cet optimisme en la science qu’avaient les philosophes des lumières et considère que la science n’est plus qu’un moyen parmi tant d’autres d’expliquer la réalité et d’acquérir des connaissances.
Étude de la communication
Le modèle télégraphique de Shannon et Weaver
Shannon- Wiener - Weaver : modèle de la communication (2008) |
Le premier modèle d’étude de la communication fut créé par Shannon et Weaver est clairement présenté dans le tableau qui suit (Nalya, 2008).
Cette codification de la communication avait pour but de pouvoir étudier la quantité d’information que contiens un message, étudier la capacité de transmission d’un canal donné et de pouvoir éventuellement reproduire à un point donné, de manière exacte ou approximative, un message sélectionné à un autre point, et ce, avec coût moindre (Seising, 2010). Ici les chercheurs n’avaient donc pas pour mission d’étudier la signification des messages, mais simplement d’étudier leur transmission. La communication est donc alors définie comme « la transmission de l’information entre deux lieux ou entre deux personnes ». L’information est pour sa part définie comme « une fonction de probabilité sans dimension, sans matérialité, sans connexions avec la signification » et est clairement mise de côté par les chercheurs.
Selon la chercheuse Katherine Hayles, cette définition de l’information utilisée par Shannon et Weaver n’est pas naïve et sert un objectif précis. C’est qu’à l’époque, il existait une autre définition de l’information, définie par MacKay pour qui « L’information doit être comprise avec le changement dans la perspective mentale du récepteur, et ainsi, avec la signification ». Toujours selon MacKay, la subjectivité, au lieu d’un problème à éviter, est justement cela qui permet la connexion entre information et signification. Cependant, pour pouvoir évaluer la réussite d’une communication, il faudrait alors être en mesure de quantifier les états mentaux des partis impliqués et cela n’était pas quelque chose de possible à l’époque. Shannon et Weaver ont donc préféré garder une définition de l’information qui met de côté la signification qui n’a donc pas à être mesurée (note de cours). Évidemment, cette vision de la communication possède plusieurs lacunes telles que la vision de la communication comme un processus linéaire, par ce fait, elle met de côté un facteur important, celui de la rétro-alimentation qui permet un processus communicationnel plus circulaire et qui implique dans son feedback une communication du sens donné aux différents messages envoyés et reçus. Néanmoins, le modèle de Shannon et Weaver se voulait un modèle généraliste permettant de mesure de façon quantitative la communication et ne recherchait pas la compréhension du sens des messages et en vient, selon Hayles, à mettre sur un pied d’égalité les machines et les hommes.
L’approche systémique
Les recherches qui ont influencé la création de la théorie systémique en communication proviennent généralement de la science et plus précisément de la biologie. Shannon le premier avait emprunté des idées liées au fonctionnement du système nerveux. Erwin Schrödinger, en 1943 à utilisé la notion d’information comme explication du développement des individus en lien avec les chromosomes et Von Bertalanffy en 1933 définit dans sa théorie biologique des systèmes, le principe de fonction comme « processus vitaux ou organiques dans la mesure où ils contribuent au maintien de l’organisme » (Seising, 2010). Cette inclusion de la fonction dans la théorie systémique montre bien le lien entre l’approche systémique et le fonctionnaliste.
Le chercheur Melvin De Fleur, qui se situe durant l’émergence des nouvelles technologies de l’information, va quant à lui complexifier le modèle de Shannon et Weaver en ajoutant la notion de rétroaction dans le système. Il explique que chaque média de masse est un système social indépendant, mais qu’ils sont tout reliés entre eu de façon systémique (Mattelard, 1997). Ainsi, la notion de sémantique est enfin ajoutée comme composante à part entière de la théorie des systèmes. Un système se distingue donc de son environnement social, mais reste néanmoins dépendant de celui-ci. Pour survivre, il doit s’adapter à l’information qu’il reçoit ou tomber dans l’anarchie (entropie).
La Cybernétique (en tant qu’approche systémique)
Le fondateur de la cybernétique, Wiener essaie d’expliquer le réel en développant une analogie ayant une finalité ultime, celle de l’humain en tant que machine. Cette notion de cette finalité est régi par la fonction qui va initier l’action (l’information), ici conceptualisé comme étant de l’énergie. Cette énergie (échange d’information) est ce qui permet à un système de survivre. La cybernétique est considérée comme la « science des machines qui s’autorégulent; étant « informé» sur leurs résultats, elles se corrigent elles-mêmes » (ecogesam). Ces avancées se situent dans un contexte de conflits sociaux important (deuxième guerre mondiale, guerre froide…) et la crainte d’un retour dans le chaos (entropie) tant à vouloir créer des systèmes où règne l’ordre (néguentropie) et la théorie de la cybernétique postule que cela n’est possible que par l’intermédiaire de la communication. Cependant, le système doit prendre garde à ne pas prendre plus d’information qu’il ne peut en en gérer au risque de se voir disparaitre. Luhmann donne ici généralement comme exemple le système de l’État-providence ou bien le système de fonctionnement de l’URSS pour démontrer que la fin d’un système n’est pas forcément une perte (Luhmann, 1991). La cybernétique utilise de plus une approche différente du réel qui supprime la distinction entre le vivant et l’artificiel (d’où l’analogie de l’homme en tant que machine). Cette théorie prétend étudier le comportement, elle étudie l’objet ou le sujet sous un angle informationnel. Cette vision sous-tend deux principes important soit que pour vivre il faut communiquer ou échanger et que le réel peut être considéré en terme de message.
Le modèle télégraphique de Shannon et Weaver et la relation asymétrique entre la communication et l’information
Tout d’abord, j’ai choisi d’aborder le sujet du modèle de Shannon et Weaver et la relation asymétrique entre la communication et l’information parce que je crois qu’il est important de mettre en relief ce qu’un tel modèle implique. Selon la cybernétique de Wiener, l’homme est considéré comme une machine, mais dans ce cas-ci, c’est la machine qui peut être considérée comme un être humain par sa capacité, toujours selon ce modèle, à communiquer avec eux. J’ignore encore, au point où j’en suis dans mes études, si je considère que les machines sont capables ou non de « communiquer » avec nous et c’est pourquoi je crois important de traiter de ce sujet et de souligner l’impacte de la signification dans l’échange d’information et dans la communication.
Pour clarifier la différence entre l’interprétation de Shannon et l’interprétation de Dacheux de ce qu’est une communication et ainsi démontrer l’asymétrie entre celle-ci et l’information, je vais utiliser un court vidéo tiré d’une série télé américaine « The Big bang Theory ». Dans celle-ci, l’on voit le personnage principal qui joue avec l’ordinateur à un « classic texte base computer game » (pardonnez mon absence de traduction). Il s’agit d’un programme qui créé une histoire dans laquelle vous jouée et qui vous donne des informations sur le déroulement du jeu au fur et à mesure que vous écrivez les actions que vous décidez d’entreprendre. Il s’agit en quelque sorte d’une adaptation technologique des romans « dont vous êtes le héros ».
Si l’on reprend le modèle de Shannon :
La source d’information (le jeu électronique) code le message envoyé à l’ordinateur qui l’envoie au récepteur afin de décoder le message qui est finalement reçu par le destinataire (Sheldon). Ainsi, si l’on se fit au modèle de Shannon qui décrit la communication comme « la transmission de l’information entre deux lieux ou entre deux personnes », la communication à bel et bien eu lieu entre Shledon et le programme informatique. Ce modèle linéaire engendre, selon Dacheux, une réduction implicite comme quoi « l’information est le contenu de la communication et la communication le véhicule de l’information ». L’information devrait selon lui être considérée comme un phénomène humain qui ne devrait pas être réduit à une correspondance de la « quantité d’information » (Dacheux, 2004).
De plus, si l’on utilise le critère de signification comme étant intrinsèque à toute communication comme l’implique Dacheux, la communication n’a pu avoir lieu entre la machine et Sheldon.Selon lui, la communication n’est pas simplement la transmission d’une information comme le prétend Shannon, mais elle serait plutôt une « constitution incertaine d’une signification », ou pour le dire dans mes propres mots (du moins ce que j’en comprends) : la communication est un échange d’information transformée en signification par les parties impliquées dans le processus.
Pour lui, une communication peut exister sans information, dans une poignée de main par exemple, mais une information ne peut exister sans communication. Il donne comme exemple la répétition de « non » pour signaler un refus. Le dire une fois informe le répondant de son refus alors que la répétition du mot n’a pas de valeur informationnelle additionnelle, mais enrichit néanmoins la communication en démontrant sa détermination (Dacheux, Ibid.).
Sur ce point, je dois dire que je suis un peu perdue, ou du moins que je suis en désaccord avec sa conclusion sur la valeur informationnelle. Si une personne répond « non » et si une personne répond « non, non, non » l’on peut y voir un refus et dans l’autre cas un refus plus catégorique qui sous-tend qu’il y a autre chose et donc qu’il y a ajout informationnel. Je comprends que « non » veut dire « non », mais il reste que je suis partisane de cette théorie qui dit « on ne peut pas ne pas communiquer » et de dire ou de crier « non!» possède selon moi deux informations différentes qui amènent à des significations différentes. Je serais donc portée à mettre un bémol sur cette partie de son argumentaire, mais je crois que cela est purement subjectif à mon interprétation. Selon moi il peut y avoir information sans signification (comme le démontre l’ordinateur dans le vidéo vu préalablement), mais je ne crois pas qu’il puisse y avoir de signification sans information, car c’est justement celle-ci, la façon dont elle est interprétée, qui permet la création de la signification. La communication selon moi implique donc l’utilisation d’information (quelles soit verbale ou non verbale) afin de permettre aux différents partis d’échanger et de créer une signification. Une communication n’est donc pas simplement un transfert d’information comme le prétend Shannon, mais demande de tenir compte de la sémantique et de la signification donnée à cette information par les participants. Le vidéo n’est donc pas, toujours selon moi, un exemple de communication puisque bien qu’il y ait une information qui soit transmise, il n’y a pas de signification de la part de la machine et sans construction de sens, il n’y a pas de communication.
La relation entre communication et information reste donc totalement asymétrique.
Sources - Boyer, Alain. Karl Popper ou le rationalisme critique (1994) http://documents.irevues.inist.fr/bitstream/handle/2042/15197/HERMES_1995_16_271.pdf;jsessionid=36905888A9DF0370180794E5A3406F5F?sequence=1 (page visionnée le 27 septembre 2011)
- Dacheux, Eric. La communication : éléments de synthèse. Communication et langages. N°141, 3ème trimestre 2004. pp. 61-70.
- ecogesam. Les courtants fondateurs des sciences de l’information et de la communication http://www.ecogesam.ac-aix-marseille.fr/Resped/Admin/Com/SciInfCom.htm (page visionnée le 27 septembre 2011)
- Simone, Manon. L’homme est par nature un homme politique (2008) http://www.philolog.fr/lhomme-est-par-nature-un-animal-politique-aristote/ (page visionnée le 27 septembre 2011)
- Encyclopédie de L'Agora. Pic de la Mirandole Jean http://agora.qc.ca/dossiers/Jean_Pic_de_la_Mirandole 2006 (page visionnée le 27 septembre 2011)
- Note de cours, CMN 3509 A Théories des communications, Université d’Ottawa, automne 2011.
- Luhmann, Niklas. (1991) Suhrhampf Verlang, Ackermann Werner, Quéré Louis. Communication et action. In: Réseaux, 1991, volume 9 n°50. pp. 131-156.
- Nalya. Shannon- Wiener - Weaver : modèle de la communication (2008) http://nalya.canalblog.com/archives/2008/01/09/7499662.html (page visionnée le 27 septembre 2011)
- Seising, Rudolf. Cybernetics, system(s) theory, information theory and Fuzzy Sets and Systems in the 1950s and 1960s, Information Sciences (December 2010), 180 (23), pg. 4459-4476, http://journals1.scholarsportal.info.proxy.bib.uottawa.ca/tmp/2166077328785265822.pdf (page visionnée le 27 septembre 2011)
- Shannon, C. A Mathematical Theory of Communication (1948) http://cm.bell-labs.com/cm/ms/what/shannonday/shannon1948.pdf (page visionnée le 27 septembre 2011)
- Armand et Michelle Mattelard. Histoire des théories de la communication, Paris – La découverte – 1997, p.31-36, http://www.nedelcu.net/documents/Mattelard-Theo-de-la-communication.pdf (page visionnée le 27 septembre 2011)
- Stanford Encyclopedia of Philosophy. Paul Feyerabend (2009) http://plato.stanford.edu/entries/feyerabend/ (page visionnée le 27 septembre 2011)